Entretien avec Denis Garnier, membre du Conseil Supérieur de la Fonction Publique hospitalière et auteur de Libérez-vous !

Économie et société : Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

Denis Garnier, auteur de Libérez-vous!
Denis Garnier : Je ne connaissais rien à l’économie. J’ai lu. J’en connais un peu plus. Ce que j’ai acquis par ces premières lectures me parait tellement important pour ceux qui comme moi habitent le monde du travail que j’ai voulu réaliser un arrêt sur image. Communiquer pour se libérer des confortables certitudes. La connaissance est la première marche de la liberté, celle qui permet de choisir. C’est parce que des gens comme moi ne prennent plus le temps, ou n’ont plus de temps de lire et donc d’apprendre, que l’amalgame devient possible et les populismes présentables.

J’ai voulu sédimenter ce savoir provisoire et le rendre accessible à ma classe, celle du travail en opposition à l’autre, celle de l’argent. Ce livre pour indiquer que rien n’est inéluctable. Il faut s’émanciper des vérités établies et qui nous conduisent au chaos. C’est l’objet de ce premier livre, un livre militant pour des gens qui veulent comprendre et qui veulent changer le présent. Donner à voir à ceux qui ne peuvent se représenter les choses qu’ils habitent.

Économie et société : Selon vous, que recouvre la notion de risques psychosociaux ?

D. G : Nous, syndicalistes, nous constations, nous protestions, nous nous indignions mais sans comprendre au début l’essence du mal. Il a fallut, à partir de la fin des années soixante dix, des hommes et des femmes de sciences pour en expliquer et les origines et les conséquences. Aujourd’hui nous nous rapprochons de l’entendement. J’ai repris dans le livre le résultat des travaux menés par le collège d’experts présidé par la Professeur Michel Gollac. Il en ressort six dimensions : l’intensité du travail et au temps de travail, les exigences émotionnelles, le manque d’autonomie et de marges de manœuvre, la mauvaise qualité des rapports sociaux et relations de travail, les conflits de valeur et enfin, l’insécurité de la situation de travail.

Mais la notion de risques psychosociaux commence à être décriée. En effet, elle culpabilise les individus, la psyché, alors que c’est pour la plupart du temps des problèmes liés à l’organisation du travail et aux moyens qui lui sont consacrés pour s’accomplir. C’est donc la pression des organisations sur les individus. Le terme Contraintes Psychologiques Organisationnelles est plus approprié, mais moins vendeur pour le marché qui s’ouvre. La souffrance au travail et certainement plus approprié, mais c’est aussi contesté. Ce qu’il y a de certain, c’est que la qualité de vie au travail se dégrade.

Économie et société : Comment prévenir ces risques ?

D. G : Les spécialistes parlent de prévention primaire (avant le mal), secondaire (pendant le mal) et tertiaire (après le mal). Mais tout ceci s’inscrit dans un système établit qui n’est pas remis en cause. Je veux parler des contraintes économiques qui étouffent et le travail et les travailleurs. Mais dans ce cadre existant, j’appelle les managers au respect ! L’autorité ne remplacera jamais la compétence. Respect des règles fixant le temps de travail et de repos ; respect des individus au travail ; respect du contrat de travail et des règles qui l’accompagne; respect de la vie privée ; respect des syndicalistes et de leur rôle.

Ensuite, il faut réduire l’intensité du travail qui est excessive en France. Savez-vous qu’une heure de travail en France génère 40 euros de richesse alors que la moyenne européenne est à 28 euros. Et ce ne serait toujours pas suffisant ? Le besoin de richesses de certains est tout à fait insatiable mais il ne peut s’assouvir sur le dos des travailleurs, fussent-ils artisans, petits patrons, agriculteurs ou viticulteurs. Ils sont allés trop loin et sur ce point il faut redonner au travail, non seulement sa valeur sociétale, mais aussi sa valeur monétaire.

Économie et société : Quelle est la principale source de stress au travail ?

D. G : C’est certainement l’intensité du travail. Elle se caractérise par des contraintes de rythme; des objectifs irréalistes, ou flous ; une polyvalence qui empêche tout temps de récupération ; des responsabilités qui isolent sans secours de la hiérarchie ; des instructions contradictoires ; une sous qualification qui fait douter ; les nouvelles technologies qui sont imposées à la hâte et souvent sans formation. C’est pourtant un mode de management que les écoles vieillissantes enseignent toujours. Mais les plus modernes se rendent compte, encore timidement, que la gestion par le stress n’est plus synonyme de rentabilité. Les cadres en sont les premières victimes et reportent parfois sur les autres les contraintes qu’eux-mêmes subissent. Pour réduire les effets du stress certains préconisent des massages. Moi je préfère les mesures qui détendent la pression sur le travail.

Économie et société : Comment des choix économiques influencent-ils in fine les conditions de travail ?

D. G : C’est tout l’objet de ce livre. Des choix économiques dépendent la qualité des conditions de travail. Pourquoi intensifier le travail ? Nous sommes depuis la fin des années 70 dans l’ère des « ressources humaines ». Un travailleur produit des richesses. C’est une vraie ressource, comme le gaz ou le pétrole, en souhaitant qu’il soit plus durable. Or depuis ces années là, la part des salaires dans le produit intérieur brut à baisser de 10% au profit du capital. La première condition de travail, c’est un emploi ! Le chômage est entretenu volontairement par les libéraux du monde des affaires pour peser non seulement sur le niveau des salaires mais aussi pour contraindre les salariés d’accepter les pires conditions. Des choix économiques dépendent le travail et ensuite sa condition.

Il suffit de regarder la Grèce aujourd’hui pour se rendre compte de l’influence des choix économiques sur le monde du travail. L’ouvrier, entendez celui qui participe à l’ouvrage travaillé, se laisse trop guidé par les vérités établies. La finance spéculative, que je dénomme dans mon ouvrage, la forteresse des tyrans, exige des rendements financiers toujours plus importants. Les grands groupes essorent littéralement les sous traitants, comme les patrons essorent leurs cadres qui essorent à leur tour ceux qui sont affublés du mot collaborateur.

Économie et société : Par rapport à votre titre, pensez-vous que les employés soient prisonniers ?

D. G : Les employés, les ouvriers, les cadres, les ingénieurs, tous ceux qui vivent de leur travail sont enfermés dans des raisonnements dont il devient de plus en plus difficile de s’extraire. Le « Monstre doux » de Raffaele Simone, décrit parfaitement cette nouvelle forme de domination qui « dégraderait les hommes sans les tourmenter ». Isolés, tout à leur distraction, concentrés sur leurs intérêts immédiats, incapables de s’associer pour résister, ces hommes remettent alors leur destinée à « un pouvoir immense et tutélaire qui se charge d’assurer leur jouissance (…) et ne cherche qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance. Il ne brise pas les volontés mais il les amollit (…), il éteint, il hébète »

Ainsi, un trop grand nombre d’employés, de cadres, d’ingénieurs, sombre dans la facilité des certitudes qui sont assénées comme des vérités incontournables et qui nuisent à l’intelligibilité. Le « tous pareils » qu’ils mettent en avant comme un bouclier qui protège de la vérité, est une façon de justifier l’inertie et d’épargner le courage nécessaire qu’il faut pour s’extraire du conformisme ambiant, pour rechercher la vérité et la dire. Il est effectivement plus facile de se répandre devant son poste de télévision que de lire un bouquin pour s’informer du monde qui nous entoure. « C’est la défaite de la pensée ou le sujet n’est pas libre, mais racorni, dévitalisé, tel un arbre privé de sève. »

« Ce qui fait la puissance des institutions financières, c’est la capacité de soumission du peuple »

C’est ainsi que tous les populismes et intégrismes deviennent possibles. Ce qui fait la puissance des institutions financières et de leurs serviteurs zélés est bien cette capacité de soumission du peuple. L’inertie du peuple conforte les tyrans. Il faut du courage à ceux qui s’opposent aux mensonges triomphants qui passent. Lorsque la conscience solidaire aura conquis la lucidité qui doit être la sienne et à hauteur des enjeux présents pour les générations futures, alors un jour, elle répondra à Monsieur Warren Buffet que la guerre des classes existe, que c’est la classe au service du plus grand nombre qui la mène et qu’elle va la gagner.

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