Les autorités espagnoles envisagent de renvoyer dans leur pays d’origine des centaines de milliers de travailleurs étrangers, les Pays-Bas songent à renforcer les tests de culture sensés filtrer les immigrants, il y a quelques mois des ouvriers anglais ont manifesté pour réclamer la préférence nationale en matière d’embauche….La tentation est grande de freiner les flux migratoires est grande en période d’envolée du chômage. La crainte qu’expriment les salariés les plus exposés au marasme économique est légitime mais est-il permis pour autant d’affirmer que l’immigration est une des causes principales du sous emploi? Certains continuent à le prétendre, sans que l’on prenne le temps de leur apporter la contradiction. C’est le cas d’ un certain Gerard Pince qui nous a gratifié d’une sorte d’”audit” de l’immigration qui se termine par la proposition d’ éloigner un demi million d’immigrés (non européens) afin de ramener le taux de chômage à 4%. Peu versé dans la nuance, il explique qu’après son travail les arguments « immigrationnistes ont définitivement perdu leur pertinence ». La réalité est, à l’évidence, beaucoup plus complexe, voire totalement différente.

Le plus souvent, les immigrés sont distancés par les autochtones sur le marché du travail.

Les autochtones subissent l’entrée de travailleurs supplémentaires si la compétitivité de ces derniers est supérieure (salaires plus bas et/ou meilleures compétences). Or il est rare qu’un travailleur immigré bénéficie d’une telle avance. Cette situation ne se rencontre, à notre connaissance, qu en Hongrie et en Italie. Dans ces deux pays, la probabilité de trouver un emploi est deux fois plus forte pour un immigré que pour un local. Ailleurs les locaux bénéficient d’une “prime à l’embauche” qui peut atteindre des niveaux considérables comme c’est le cas en Belgique, au Danemark ou aux Pays-Bas. Dans ce dernier pays, le taux de chômage moyen des immigrés est deux fois et demie plus élevé que la moyenne des locaux. La France est dans une situation intermédiaire, proche de celle du Royaume-Uni ou de l’Allemagne, avec un sur-chômage des immigrés de l’ordre de plus 50%. Ceci explique que depuis 1990 l’emploi occupé par les immigrés n’a progressé que de 5%, soit deux fois moins vite que l’emploi total.

Comment expliquer ce handicap des salariés nés à l’étranger ? On peut invoquer des caractéristiques individuelles (barrière de la langue, âge, qualification…) mais elles ne rendent compte que d’une partie de cet écart. Un travail récent met en évidence le rôle de la structure des emplois et du manque de mobilité géographique des immigrés. « Historiquement les vagues d’immigration de travail dans notre pays ont toujours eu pour vocation d’occuper un emploi sans contact avec la clientèle : bâtiment, cuisines de restauration, chaînes de montage de l’industrie automobile, ramassage des ordures ménagères, travaux agricoles. Un changement brutal se serait opéré dans les années 80 où la proportion d’emplois sans contact a baissé rapidement » (2: L. Bouvard, P-P. Combes, B. Decreuse, M. Laouénan, B. Schmutz and A. Trannoy, 2009 « Géographie du chômage des personnes d’origine africaine : une discrimination vis-à-vis des emplois en contact avec la clientèle », Revue Française d’Economie) au profit, par exemple, du commerce ou de l’hôtellerie restauration.

Pour des raisons qui tiennent en partie à la réticence d’un trop grand nombre d’employeurs privés, les immigrés sont sous représentés dans ces emplois. Afin d’accéder à ces postes ils n’est pas rare qu’ils se mettent à leur compte. A cette discrimination à l’embauche s’ajouteraient les difficultés qu’ils rencontrent pour quitter les grands centres urbains et rejoindre les zones moins denses où se situent de plus en plus les emplois de service (on évoque en particulier la difficulté à trouver une place en HLM en dehors de sa commune ou de son département).

Les obstacles spécifiques que rencontrent les immigrés sur le marché du travail peuvent expliquer la proportion importante d’inactifs parmi les personnes en âge de travailler. On pense ici aux femmes dont le taux de chômage est deux fois supérieur à celui des femmes non immigrées.

Quand l’immigration encourage l’emploi non qualifié

La France est l’un des pays industrialisés qui reçoit le plus d’immigrants à faible qualification. A priori, on peut craindre que ces flux occasionnent un effet négatif sur l’emploi et les salaires des ouvriers et employés autochtones les moins qualifiés. Il s’agit d’un coût direct de l’immigration, rapide et socialement douloureux. Toutefois il existe des retombées positives, moins visibles mais tout aussi réelles.

On peut repérer trois effets indirects. Le premier réside dans les dépenses des immigrants et de leurs familles qui, le plus souvent, procèdent à des achats de biens et services riches en main d’oeuvre non qualifiés (alimentation, produits manufacturés peu couteux…). Le second effet concerne les entreprises qui embauchent de la main d’oeuvre peu qualifiée et qui pourraient être tentées de la remplacer par des équipements pour affronter l’intensification de la concurrence ou contourner une pénurie de personnel. L’existence d’une main d’oeuvre immigrée supplémentaire incite les firmes à freiner une recherche souvent outrancière de productivité qui s’exerce au détriment de l’emploi de tous les salariés, y compris autochtones. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles le secteur tertiaire américain, pays de forte immigration, est beaucoup plus créateur d’emplois qu’en France. Enfin, chacun peut constater dans son quartier que les immigrés maintiennent et développent des activités délaissées par les Français (commerce de proximité en particulier). Eventuellement, ceci peut être l’occasion d’embaucher des salariés supplémentaires.

Et pourtant ils consomment….

Les immigrés ne sont pas tous producteurs mais ils sont tous consommateurs, comme chacun d’entre nous. Dans la mesure où ils ne vivent pas en complète autarcie, ces achats alimentent la production générale et encouragent l’emploi dans tout le pays. Les habitants de Montbéliard ont pu le vérifie lorsque entre 1984 et 1986, plus de 5 % de la population a disparu en raison d’une incitation au départ des immigrés. Le résultat fut aussi rapide que désastreux : « Le nombre de logements vides s’accroît, les organismes HLM ont près de 3 000 logements vacants. Si le départ des immigrés n’est pas la seule cause, le secteur du bâtiment et des travaux publics perd 1 000 emplois en 5 ans (…) Une enquête auprès des commerçants réalisée par des élèves du collège des Buis à Valentigney conclut à de très fortes baisses de chiffre d’affaires dans les supermarchés, boulangeries, boucheries, bureaux de tabac, pressing…Les moyens financiers des communes sont touchés par la diminution de la taxe d’habitation et de la dotation générale de fonctionnement, toutes deux liées au nombre d’habitants. Au total, les effets sont très négatifs pour l’économie de la région. »

L’économiste américain Julian Simon nous fournit un modèle pour déterminer si cet effet “demande” peut compenser les pertes que subissent les salariés locaux qui sont concurrencés par les immigrés. Selon lui, l’immigration se traduit par un gain net en termes d’emplois si la consommation relative des immigrés (par rapport aux non immigrés) est plus forte que leur probabilité relative d’occuper un emploi. En reprenant les chiffres fournis par Gerard Pince dans son brûlot anti-immigration, on peut montrer que c’est bien le cas en ce qui concerne les immigrés extra-européens, ceux-la même qu’il souhaite voir partir en nombre (Leur consommation représente 77% de celle des français de souche tandis que leur chance de trouver un emploi atteint 75% de celle des français). En revanche, contre toute attente, c’est la présence des immigrés européens qui pourrait avoir un effet négatif sur l’emploi des autochtones…

Les économistes ne nient que l’entrée massive de travailleurs immigrés puissent détruire de l’emploi, mais ils démontrent qu’à moyen terme cette offre de travail supplémentaire suscite une demande nouvelle qui compense voire excède les pertes initiales. Le malthusianisme ne parait pas une bon remède pour lutter contre le chômage. La France en est un bon exemple puisqu’elle le pratique depuis des décennies sans résultat probant (pré-retraites, diminution du temps de travail…) Reste à imaginer d’autres pistes plus imaginatives, plus fructueuses et plus conformes à nos traditions.

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