Entretien avec François Hauser, dg et fondateur de Neoxia, cabinet de conseil en système d’Information créé en 2000

Économie et société : Pourquoi les entreprises perçoivent encore les seniors comme un handicap ?

François Hauser : C’est un raccourci : ce ne sont pas les seniors qui sont directement un handicap mais leurs managers, souvent plus jeunes (voire de plus en plus jeunes) que les seniors, qui ne sont pas formés à la confrontation. C’est ainsi que l’on retrouve maintenant très souvent une forme de "management par la peur", désastreux sur le moyen terme, car ce fonctionnement est en quelque sorte autiste.

Ce mode fonctionne plus aisément quand des plus jeunes que soi sont les collaborateurs; c’est beaucoup plus difficile d’agir ainsi quand à 35 ans on veut disposer du bon vouloir d’un cinquantenaire dont l’expérience est un plus et l’ouverture au changement est plus souvent … un frein qu’il faut dégripper. Alors, cette tendance à passer en force est une fausse facilité car elle paupérise l’entreprise du fait de la succession des départs ou à tout le moins elle démotive les troupes et génère un coût d’adaptation à chaque nouveau recrutement (loi de Brooks)

Les directions générales d’entreprise sont-elles toujours les premières responsables en mettant la pression ? : toujours plus de résultats dans le même espace temps. Effectivement, ce qui est souvent constaté, c’est que plus on descend dans la hiérarchie, plus la pression augmente car à chaque niveau, la propre peur du chef le conduit à prendre de la marge (risques !) et à accroître le niveau à atteindre pour les subalternes.

Alors, le raisonnement devient biaisé car à courte vue : par exemple, on compare le prix de la main d’œuvre en jours-hommes et on supprime ce qui est (apparemment) le plus cher à la journée et plus difficile à diriger, c’est à dire les seniors.

« Manager avec intelligence, cela impose de perdre du temps »

Or le bon sens commande : c’est le prix de l’Unité d’œuvre terminée et opérationnelle qu’il faudrait en réalité comparer ; dans ce cas, tout porte à croire qu’une équipe composée d’expérimentés et de jeunes, motivés car en bonne entente, gagne la palme de l’efficience !

Manager avec intelligence, c’est piloter en étant "porteur de sens" ; cela impose de perdre du temps (la préparation n’est-elle pas pour 90 % dans le succès espéré ?) avec chaque équipier (ce n’est donc plus un "collaborateur") pour s’expliquer, répondre précisément à ses questions pour convaincre et faire adhérer. Convaincre un senior prend donc plus de temps et impose d’accepter la confrontation avec ses expériences accumulées. L’objectif au final : en gagner plus !

A-t-on oublié qu’à la différence du début du siècle dernier, tout le monde va à l’école et a, de ce fait, le besoin fondamental de comprendre pour agir de manière adéquate (avec un minimum indispensable de libre arbitre) au plan opérationnel.

Économie et société : Qu’est-ce qui pourrait faire changer cette vision ?

F. H : Deux voies forment un manager : le terrain où chacun "apprend" à diriger en regardant ses collègues (ou patrons) faire (ou mal faire), et les sessions de formation où, normalement, on y apprend les bonnes pratiques. Ensuite, bien entendu, il faut que l’exemple vienne du haut, c’est à dire que le corps supérieur de l’entreprise fasse sa révolution culturelle ; mais passer d’une culture dictatoriale à une culture où l’écoute des points de vue des collègues est vécue comme une opportunité d’améliorer la compétitivité globale ne sort pas du chapeau.

Comment combattre cette rengaine : "ici, pas question de soixante-huitard !" Grave erreur, discuter d’un sujet pour asseoir une décision éclairée n’exclut nullement la capacité du manager, après avoir entendu les avis, de décider.

Nouvel exemple emblématique où la recherche de la qualité est encore sous-jacente. Prendre le temps de réfléchir, c’est ainsi que fonctionnent les services réputés dans les hôpitaux : confrontation des cas cliniques entre externes, internes, chefs de clinique, assistants chevronnés, chef de service lors des staffs avant de poser le traitement du patient (sauf urgence évidemment) … et en plus c’est "apprenant" !

Malheureusement, dans ma pratique, combien de fois, n’ai-je rencontré dans nos missions des situations non satisfaisantes qui perdurent parce que dire les choses factuellement et de manière appropriée font craindre un conflit ("ouvert" alors qu’en réalité il est déjà "larvé") plutôt qu’offrir l’opportunité de travailler ensemble de manière constructive (et non l’un à la botte de l’autre) pour une meilleure efficience tant pour chacun que pour l’entreprise !

Économie et société : Comment cela se traduit-il dans votre manière d’appréhender le management ?

F. H : Lorsque j’enseigne le management, j’emprunte, lâchement, à la démarche qualité quatre fondamentaux :

• conformité aux exigences (devenues telles après avoir été négociées par les parties prenantes),
• attitude "erreur zéro" en regard du niveau d’atteinte de ces exigences (terme antinomique : ça ira comme cela),
• prévention des défauts que l’on pourrait dénommer devoir d’alerte ou d’information ; les seniors ont ici un rôle essentiel car leur expérience est un trésor si l’on sait bien la réguler,
• mesure du prix des non-conformités pour anticiper une augmentation des dérives et "corriger le tir" au plus tôt, soit en modifiant les processus, soit en baissant ses ambitions en termes de niveau d’exigences.

Économie et société : Comment faire pour valoriser le savoir faire accumulé par les seniors ?

F. H : Cinq actions peuvent être mises en place :

• Faire tomber les a priori et refuser les mauvais réflexes : ne plus considérer d’entrée de jeu les seniors comme des "freins" potentiels sans doute parce que plus réticents à se remettre en cause ou des ressources trop couteuses (cf. supra),
• Apprendre aux managers à prendre le temps de les informer, de ressortir leurs expertises … au lieu de les "placardiser",
• "Reconnaître" publiquement leur capital expériences en communiquant sur leurs apports à partir de faits concrets, notamment en terme de transmission des savoirs,
• Persister à investir en formation pour les aider à apprendre de nouvelles techniques, ce qui contribuera évidemment à abaisser leur peur du changement,
• Les associer régulièrement à la vision stratégique de l’entreprise ou/et de leur entité,
• enfin, mettre en place des dispositifs qui les sécurisent (toutefois pas trop) pour leur avenir.

Comment ne pas rappeler ici l’importance de satisfaire les cinq niveaux de la pyramide de Maslow pour bénéficier pleinement de leur support ? qu’en retire le manager ? L’exercice plus serein de son art, lui aussi une reconnaissance de ses équipes ; et de ses pairs et chef : un meneur d’équipes qui gagnent sans éclat … de voix 😉

C’est ainsi que les seniors seront les meilleurs de leur manager et contribueront à la dynamique de l’ensemble. Foin d’opposants ! car ils ne sentiront a nouveau considérés.

Économie et société : Comment favoriser le lien et la création d’échange entre jeunes et seniors ?

F. H : C’est une question de culture impulsée par le sommet. Je me souviens du début des années 1990, date de la première crise économique depuis longtemps, où mon Président souhaita utiliser l’enveloppe financière de restructuration non pour licencier mais pour redéployer les compétences des collaborateurs dont l’emploi ne se justifiait plus. C’était tellement original que certains ne voulurent pas saisir la perche tendue malgré moultes tentatives pour les convaincre de changer de métiers.

Dommage, c’était la manière d’un entrepreneur qui savait le temps nécessaire pour construire un collaborateur "au point". En effet, le jeune apporte ainsi normalement un savoir-faire au top de la technique, alors que le vieux transmet plutôt des réflexes capitalisés depuis ses débuts, sans compter que seuls, les expérimentés savent évaluer les charges de travail avec une meilleure précision. Pourquoi ? Parce qu’ils évaluent en référence à des expériences passées, ce que les jeunes professionnels ne peuvent faire. Comment leur en vouloir ?

Comment favoriser les échanges ? En créant des équipes mixtes où chacun va apprendre de son collègue sous réserve que leur patron sache animer l’équipe et la réguler. Il lui faudra notamment veiller à ce que l’un ne veuille pas prendre le pas sur l’autre et tenir périodiquement des points de type "retour de pratique" qui lui permettront aussi de valoriser chacun des équipiers (j’emploie ce terme à dessein) sur des faits tangibles donc non futiles.

C’est ce qu’Eric Berne appelle dans les "positions de vie", une équipe travaillant à l’unisson (interdépendance). Cette situation est reconnue transitoire ; le rôle du manager est donc de veiller à la maintenir ou de faire revenir son équipe le plus souvent possible à cette position car c’est celle où chacun voit l’autre prioritairement positivement avec ses expertises complémentaires et non relève ses défauts. C’est ainsi que sont les équipes performantes.

Économie et société : Quel rôle joue la transmission des savoirs dans une société ?

F. H : C’est le seul moyen pour l’entreprise de ne pas perdre sa substance; C’est aussi dans ces sociétés que :

• chacun conserve sa face comme sa place (même si elle doit évoluer pour contrer la sclérose),
• et surtout l’image du senior perdure une fois celui-ci parti ; cela sert le souhait vital de chacun d’entre nous : laisser son empreinte que ce soit après sa mort sociale ou sa mort physiologique.

Tout contribue ainsi à ce que l’entreprise soit performante et dispose d’une image propre à de bons recrutements, lesquels concourent à réaliser de bons produits avec un bon rapport coûts-efficacité ; dès lors, ces sociétés dont le corps social est motivé sont compétitives, gagnent des parts de marchés, etc. Bref, le cercle vertueux est là !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *